Décès de Tibet, l’auteur de « Chick Bill » et de « Ric Hochet »
3 janvier 2010
Nous apprenons avec douleur et tristesse la disparition de Tibet, décédé cette nuit à minuit trente à Roquebrune-sur-Argens, à l’âge de 78 ans. Il a été l’un des auteurs les plus importants du Journal de Tintin. Ses séries les plus célèbres Chick Bill & Kid Ordinn ou encore Ric Hochet qu’il créa en collaboration avec d’André-Paul Duchâteau faisaient partie des joyaux des éditions du Lombard et étaient suivies par un public nombreux et fidèle.
Né sous le nom de Gilbert Gascard à Marseille le 29 octobre 1931, fils d’un célèbre joueur de football de l’O.M., Tibet doit son pseudonyme grâce au surnom que lui donna son frère aîné. Bien que Français, c’est en Belgique, la Mecque du 9ème art, qu’il fait des débuts, sa mère ayant décidé de s’y établir.
Découverte de la BD
«Je retrouvais dans Valhardi toutes les qualités de mes chefs scouts»me confia-t-il un jour.
Car le jeune Marseillais, habitant au cœur de Bruxelles dans la paroisse de Saint-Géry, est parfaitement intégré à la Belgique d’alors.
À 13 ans, il arrive à dégoter l’adresse d’Hergé, grâce à un copain de classe. Il ose rendre visite au maître.
Le père de Tintin lui prodigue gentiment des conseils qui se résument à trois mots qui seront les siens toute sa vie:
À 16 ans, « ne foutant rien d’autre à l’école que des dessins », il fait le tour des journaux avec sa BD sous le bras.
Buisson creux, jusqu’à ce qu’il rencontre, dans l’antenne bruxelloise de l’agence Opera Mundi, Armand Bigle (1917-1997) qui l’aiguille sur deux professionnels de la BD publiant dans Bravo : Tenas et Rali.
Deux années durant, il gomme leurs planches et leur fait le café. Là, il rencontre leur scénariste attitré, un certain… André-Paul Duchâteau.
Après un voyage aux États-Unis, Bigle est devenu directeur général du merchandising Disney sur tout le continent, crée un studio de dessin de Disney à Bruxelles dans lequel Tenas, Rali et Tibet sont enrôlés.
Dans la foulée, il lance Mickey Magazine entre 1950 et 1959, publié en français et en flamand pour la Belgique et le Congo belge.
Tibet fait du Mickey (sur scénario de Duchâteau) pendant quelques temps mais, comme il n’est pas très bien payé, il commence à vendre des histoires aussi à Heroïc Albums.
Intégré au studio du Lombard comme « dessinateur à tout faire », il décommande son rendez-vous de Marcinelle…
Au Lombard, Tibet fait des publicités, des culs de lampe, de temps en temps des planches.
Marcel Pagnol au Far-West
En 1952, à la demande de son patron Raymond Leblanc, il crée pour Tintin, Chick Bill, une série animalière de western.
Mais Hergé la refuse. Il a un mauvais souvenir de Popol et Virginie au pays des Lapinos conçu dans le même registre. « Cela ne marchera jamais » décrète-t-il.
Leblanc recase alors la série dans Chez Nous/Junior, un hebdomadaire qu’il réalise clé en main pour le groupe Standaard.
Au rythme de deux planches par semaine, suivant malgré tout les conseils d’Hergé, il fait de ses personnages des humains.
Parodie du western classique, Chick Bill ne se prétend pas réaliste. « C’était Marcel Pagnol au Far-West » nous disait le dessinateur, aux antipodes d’un Lucky Luke nourri par la vraie légende de l’Ouest.
Bientôt, Tibet dessine deux planches de Chick Bill dans Junior, une autre dans Tintin, rejointes par des jeux, puis des planches de Ric Hochet qu’il réalise avec son ami Duchâteau.
Ce nom… « Ric Hochet » ! C’est un vice chez Tibet, la plupart de ses séries sont trempées dans l’humour de l’Almanach Vermot.
Tibet dessine pendant des années deux Chick Bill et deux Ric Hochet par an ! Il ne les faisait pas seul : il s’était attaché les scénaristes Greg et Duchâteau et les décors de Ric Hochet étaient faits par des assistants: Mittéi, Denayer, Desmit, Brichaud...
Mais, il insiste, il a toujours fait le lettrage lui-même.
Le héros en tweed restera longtemps le personnage préféré des lecteurs du Journal Tintin. «Normal, dit Tibet un jour, c’est une espèce de Tintin réaliste».
Familier des auteurs Dupuis (il a longtemps joué en fin de semaine au billard avec Franquin, Roba et Peyo), il reste fidèle au Lombard, en dépit des soubresauts de l’entreprise.
Récemment, il avait réalisé une nouvelle série chez Glénat Aldo Rémy : « J’ai voulu faire une série où je me sentais complètement libre, un truc qu’Hergé n’aurait pas apprécié, mais tant pis. »
«Un être généreux»
Il était quelque part l’héritier de cette «ligne claire» à la Hergé et ce côté un petit peu fantaisiste et truculent que l’on retrouvait chez Bob De Moor et d’autres.
Pour en savoir plus sur la vraie personnalité de Tibet, il faut lire son livre de souvenirs Qui fait peur à Maman ? [1].
C’était quelqu’un qui avait plusieurs faces, notamment le côté public avec sa bande de copains, mais aussi un côté très sombre, un peu ronchon, d’un humoriste qui a pris des coups dans sa vie, mais qu’on ne retrouve pas forcément dans son œuvre. »
Très ému, son complice de toujours André-Paul Duchâteau nous témoigne :
«C’est un choc terrible, Didier. C’était un immense ami. Cela faisait 53 ans qu’on se connaissait et que l’on travaillait ensemble. C’est à n’y pas croire. Il a eu une mort comme on l’aurait peut-être souhaité pour chacun de nous. Il a manqué d’air, il a ouvert une fenêtre, puis il a fait une rotation sur lui-même et il est tombé. Une dernière pirouette ! Il aura eu une belle vie et une mort charitable. Je suis bien évidemment très très triste. Tibet avait énormément de talents. C’était avant tout le dessinateur que l’on connaît mais c’était un très bon scénariste et un très bon comédien qui amusait ses amis par les histoires qu’il racontait et les mimiques qui les accompagnaient. C’était quelqu’un de généreux, de drôle pour qui l’amitié comptait énormément et il l’a toujours prouvé. Nous étions des associés parce que nous étions avant tout des amis. C’est une perte que rien ne remplacera jamais. J’ai l’impression qu’avec la carrière qu’il a eue et le talent qu’il avait, il eut été normal qu’il reçoive le prix d’Angoulême. C’était une personnalité extrêmement importante. Son œuvre a compté et compte toujours. Peu importe de toutes manières, à mes yeux, chaque fois qu’il publiait une nouvelle histoire, il remportait un prix. Les lecteurs ne s’y trompent pas. Ils voient bien la sincérité qu’il peut y avoir entre un lecteur et un auteur.»
Hommage de la jeune génération
Dans Désoeuvré (L’Association, 2005), Lewis Trondheim dessine Tibet. Recueillant des propos alors qu’il est âgé de 73 ans, il note : « …Tibet, je voudrais être à sa place. Il fait deux albums par an et il a toujours du plaisir à dessiner. »
Quant à Blutch, il venait de déclarer à Chronicart : «…Mon grand prix reste un hold-up. Je trouve pas ça élégant pour les auteurs qui travaillent dans la bande dessinée depuis cinquante ans. Que ce soit un freluquet qui décroche ce prix, qui n’a jamais vendu de livres par palette entière, dont le grand public n’a jamais entendu parler… J’ai honte franchement de passer devant Tabary («Iznogoud»), Fmurr («Le Génie des alpages») ou Tibet («Ric Hochet»).»
Preuve que de simples lecteurs peuvent aussi être de très grands auteurs.
Tibet et Guy Decissy,
le fondateur du Centre Belge de la BD
Photo : Didier Pasamonik (© L’Agence BD)
[i] Tibet : La fureur de rire, Le Lombard, 2000.
[1] Aux éditions L’esprit des péninsules, Paris, 2007.
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