mardi 12 janvier 2010

Mundo-BD : Tibet ou la probité du talent

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Tibet ou la probité du talent
Didier Pasamonik



Le dessinateur et scénariste Tibet tire sa révérence, à l’âge de 78 ans, juste avant le festival d’Angoulême, comme l’avaient fait avant lui, dans un timing proche, André Franquin, Will Eisner ou Claude Moliterni. Le principal talent de l’artiste ? L’amitié.


Il était né en 1931 à Marseille. Son père était un joueur de foot célèbre à l’O.M. mais Marseille terrorise sa mère, sans qu’on ne sache pourquoi. Elle quitte la Canebière pour s’enfoncer dans le Nord, en Belgique, avec ses enfants. Tibet raconte cela dans un livre de souvenirs poignant, Qui fait peur à maman ? (Ed. L’Esprit des péninsules). Le poète parnassien Théophile Gautier a raison :


« Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;


Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.


Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde


Pour épancher ses vers, divines larmes d’or ! »


Du secret familial originel fait de douleur et de tristesse naît un Eldorado : le besoin de faire rire.


Le chanteur Adamo, ami de Tibet, a eu cette jolie formule à propos de son western Chick Bill créé en 1953 : « C’est Pagnol au Far-West ». Rien n’est plus vrai. Sa faconde, sa fantaisie étaient celles d’un conteur, d’un acteur même. Il aurait bien aimé être comédien. Mais comme disait Sacha Guitry : « Tous les hommes sont des comédiens, sauf certains acteurs. »


Tibet a fait ses classes dès l’âge de 16 ans auprès des dessinateurs belges Tenas et Rali qui oeuvraient pour le journal Bravo. Quelques temps plus tard, ils rejoignent l’équipe d’Armand Bigle qui entreprend de lancer Mickey Magazine en Belgique. Pendant deux ans, Tibet leur gomme les planches et leur apporte le café.




Premiers succès



Puis il sollicite à la fois les éditions Dupuis et le Lombard. Ayant un rendez-vous des deux côtés, il choisit l’éditeur bruxellois parce que ses bureaux sont à quelques centaines de mètres du domicile familial. Pour le Journal Tintin, il va livrer illustrations et culs de lampe. Sa première BD, Hergé n’en veut pas. Il s’agit d’un western animalier et le directeur artistique de Tintin n’y croit pas. Chick Bill naîtra alors dans une publication dérivée du Lombard : Junior. Quelques années plus tard, ses personnages étant redevenus des humains font leur entrée dans le journal.


Chez Bravo, Tenas et Rali avaient un scénariste attitré : le tout-jeune romancier André-Paul Duchâteau. Tibet et lui sympathisent. Ils créent une rubrique d’énigmes policières pour le Journal des 7 à 77 ans. André-Paul écrit, Tibet illustre. La rubrique a tellement de succès que l’éditeur envisage d’en faire une BD. Ce sera la série Ric Hochet (1955). Commencée sur le mode humoristique, elle devient réaliste et remporte un immense succès, figurant à la première place du référendum du Journal Tintin pendant plusieurs décennies. « C’est normal, dit Tibet en relativisant la portée d’un tel suffrage, c’était une sorte de Tintin réaliste. »


Rencontre avec des géants



Chez Tintin, il se noue des amitiés à jamais inaltérables : René Goscinny, lui écrit des textes, Albert Uderzo qui a lui aussi conquis l’Amérique avec Oumpah-Pah, André Franquin y dessine Modeste & Pompon, Hergé, Jacobs, et toute la bande de Dupuis avec certains desquels, comme Morris, Roba ou Peyo, il va jouer au billard tous les week-ends. C’est le Panthéon de la BD franco-belge !


Ce qui frappe dans la carrière de Tibet, c’est la régularité de son travail : un Chick Bill et un Ric Hochet par an, jusqu’à la fin : le dernier Ric Hochet portant le numéro 77 devant paraître ce mois-ci… Pour Angoulême !


L’amitié comme principal talent


Tibet ne se considérait pas comme un grand dessinateur, sans doute parce qu’il avait côtoyé des géants. Mais c’est oublier ce qui fait la spécificité d’une bande dessinée : avant tout l’aptitude à savoir raconter une histoire, à animer des personnages. Et là, Tibet était un grand. Le public ne s’y est jamais trompé qui le suivait régulièrement depuis des années. Toujours de bonne humeur, Tibet se pliait à tous les rituels de la dédicace, se trouvant invité à de nombreux festivals.





S’il n’a jamais eu de prix à Angoulême, cela ne l’affectait pas : Le seul prix qui comptait pour lui, c’était l’estime de ses amis. Et la personnalité talentueuse qu’était Tibet n’en manquait pas.


Didier Pasamonik


Illustrations :
  1. Tibet par Didier Pasamonik
  2. Chick Bil, créé en 1953.
  3. Ric Hochet, créé avec son ami André-Paul Duchâteau en 1955.
  4. Tibet et Guy Decissy, le créateur du Centre Belge de al BD et fondateur de Publiart, une agence de publicité où Tibet fit ses débuts.
  5. La caricature de Ddier Pasamonik en médaillon est d’Alexandre Franc.


Article et photos publiées avec l'accord de l'auteur


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